Recherches sociologiques en santé publique
La recherche sociologique en santé publique tend à se développer. D'une part, la sociologie de la santé « investit » des objets nouveaux d'étude (voir 2. La sociologie de la santé), rejoignant ceux de la santé publique [1] .
D'autre part, la sociologie apporte sa propre démarche de recherche : elle invite à penser « autrement » des thèmes de recherche de la santé publique. D'un constat de santé, la sociologie va avant tout interroger les éléments sociaux expliquant ce constat. Il s'agit de se distancer d'un regard médical ou épidémiologique pour proposer un regard multidimensionnel au problème de santé étudié [2] . Pour ce faire, la recherche sociologique en santé va mobiliser les concepts de la sociologie générale (normes, rôles, socialisation...) et accepter la complexité du problème posé en interrogeant les dimensions « périphériques » mais néanmoins déterminantes.
Une conséquence est le lien distant qu'entretient la recherche en sociologie à la décision et à l'action. La mise en place d'intervention ou d'action visant à améliorer l'état de santé de la population n'entre pas dans le cadre de la recherche en sociologie. Ce que propose la recherche en sociologie, c'est premièrement une connaissance approfondie et plus complète d'un problème de santé et deuxièmement une posture réflexive pour les acteurs de santé publique, amenés par les connaissances sociologiques, à interroger à nouveau le problème constaté et à procéder à d'éventuels ajustements des interventions.
La recherche sociologique en santé publique est souvent de type qualitatif, mais pas exclusivement. Actuellement, on observe souvent l' « emprunt » des méthodes qualitatives à l'étude de problèmes de santé [1]; les méthodes qualitatives en sociologie se caractérisent cependant par un lien fort à des cadres théoriques ou des problématiques sociologiques qu'il s'agit de considérer. Par exemple, réaliser un entretien relève d'une réflexion globale : c'est parce que le problème de santé a fait l'objet d'une conceptualisation sociologique spécifique, que l'entretien s'impose comme méthode adéquate. C'est un apport supplémentaire de la sociologie à la recherche en santé publique : un retour permanent est réalisé sur la question de départ qui, approfondie et complexe, va diriger la recherche, les orientations méthodologiques ainsi que l'analyse des données.
Exemple : L'apport des sciences sociales dans l'étude des inégalités de santé
Les inégalités de santé sont étudiées en santé publique et il est reconnu aujourd'hui qu'elles peuvent être sociales. L'apport des sciences sociales est d'aider au dévoilement des facteurs sociaux des inégalités, inégalités par ailleurs étudiées dans d'autres domaines en sociologie (notamment l'éducation). La mobilisation des savoirs sociologiques est importante pour proposer une compréhension complète des différences observées entre individus et groupes.
En France, Pierre Aïach [3]a étudié les inégalités de santé : comme d'autres chercheurs en sciences sociales, l'ambition est de comprendre les chiffres statistiques montrant des différences notoires entre hommes-femmes, catégories socio-professionnelles, niveau d'éducation... en matière de santé. Le regard sociologique se tourne vers les contextes sociaux, les appartenances culturelles, les parcours et histoire de vie... et plaide pour une compréhension des inégalités de santé comme l'aboutissement d'un processus différentiel et discriminant entre individus et groupes.
Les inégalités face au cancer ont aussi fait l'objet d'études sociologiques. Si des facteurs individuels expliquent la survenue des cancers [4], l'étude des trajectoires de malades du cancer démontre que les individus sont inégaux face au cancer en ce sens que la maladie est socialement construite : les comportements individuels (alcool, tabac...) doivent être considérés au regard des parcours de vie des malades , forcément inégalitaires, les ressources économiques, culturelles, sociales variant d'un groupe à l'autre.
Cette approche peut être appliquée à d'autres comportements individuels, telle que l'alimentation. Si s'alimenter relève d'un geste individuel, il est socialement signifiant et révélateur de pratiques non plus individuelles mais sociales [5]: la culture, la religion, les appartenances professionnelles, le niveau d'éducation... viennent façonner la manière dont on mange. Les individus ne sont dès lors pas égaux face aux conduites saines en matière d'alimentation telles que promues par la santé publique.
En matière d'inégalités, l'apport des sciences est d'inscrire des comportements individuels dans un contexte social plus ou moins déterminant. L'intervention en santé publique ne peut pas être tournée vers les seuls individus, ceux-ci étant aussi des êtres sociaux appartenant et composant un environnement social.