Concepts et savoirs de base en santé publique - Disciplines concourantes

Objet et perspective sociologiques

De l'objet de la sociologie...

La sociologie peut être définie, de manière simple, comme la science du social. Par social, sont entendus

  • diverses entités sociales : de la société ou groupe élargi (par exemple, la nation) au groupe restreint (par exemple, la famille), en passant par les institutions et organisations (par exemple, l'hôpital) ;

  • et divers phénomènes sociaux : de l'action sociale (par exemple, un mouvement syndical ou des pratiques médiatiques telles que les réseaux sociaux) aux expériences et comportements individuels (par exemple, l'alimentation ou l'activité physique).

La sociologie étudie :

  • les phénomènes sociaux en opposition aux phénomènes physiques ou naturels ;

  • tout ce qui se traduit par des actions humaines : croyances, représentations, valeurs, institutions, organisations, contraintes... Il s'agit ici de l'amont et de l'aval de l'action humaine ;

  • les actes « irrationnels » dans la mesure où ceux-ci font partie et constituent la réalité sociale, par exemple la délinquance ou la maladie mentale.

L'objet de la sociologie est donc toute action humaine et toute interaction sociale « signifiantes » : la sociologie s'attache à comprendre et dévoiler les facteurs sociaux qui peuvent expliquer les conduites humaines.

... à la perspective sociologique

Si l'on peut identifier des domaines en sociologie (le travail, l'éducation, la culture, la santé...), il est cependant peu opportun de définir la sociologie par son objet ou ses objets d'étude, dont les contours seraient délimités ; la sociologie ne possède en effet pas d'objet sociologique propre, toute activité humaine signifiante pouvant être analysée en termes sociologiques.

La sociologie se distingue davantage par sa posture réflexive : c'est le regard posé sur l'objet étudié qui va rendre cet objet sociologique. Il est donc plus judicieux de parler de perspective sociologique lorsqu'on cherche à définir la sociologie.

ExempleExemple : L'éducation thérapeutique du patient, un objet sociologique ?

L'éducation thérapeutique du patient (ETP) consiste en un dispositif de prise en charge du patient chronique, visant à l'éduquer au sujet de sa maladie afin de le rendre autonome et en capacité à gérer sa maladie au quotidien. L'éducation thérapeutique peut inclure les proches du malade. Elle se fait généralement à l'hôpital, mais peut être mise en place dans d'autres cadres (consultations, domicile...). La santé publique s'intéresse à ce dispositif dans la mesure où il permet d'atteindre un objectif de santé. Par exemple, dans le cas de l'insuffisance cardiaque, il est attendu que l'ETP contribue à la réduction du nombre d'hospitalisations.

Dispositif médical servant un objectif de santé publique, l'ETP est aussi un objet d'observation et d'étude pour les sociologues. Voici quelques exemples de « regards » que peut poser la sociologie face à l'ETP et les interrogations ainsi soulevées.

1 . La sociologie interroge tout d'abord l'ETP en tant que nouveau type de prise en charge du patient, se distinguant du soin et du care. La sociologie peut par exemple interroger :

  • les évolutions des relations entre professionnels et patients : doit-on comprendre l'ETP comme une relation de partenariat ou plutôt une relation de surveillance ? Quelle est la continuité – ou discontinuité – avec les relations plus classiques entre professionnels et patients ?

  • le rapport à l'institution et l'élargissement du médical dans la sphère privée, l'ETP contribuant à la médicalisation de la société, thème étudié par les sociologues de la santé (voir 2. La sociologie de la santé) ;

  • les nouvelles formes d'organisation du travail dans le champ de la santé, l'ETP permettant l'émergence de nouvelles professions dédiées.

2. La sociologie peut également interroger l'amont de la mise en place de dispositifs d'ETP : quelles sont les motivations non médicales favorisant le développement de l'ETP ? Comment l'ETP s'inscrit-elle dans l'évolution actuelle des pratiques médicales ? Comment ce dispositif répond – ou non – à des contraintes ou besoins économiques, d'organisation de la profession ou encore à une demande sociale ?

3. En ETP, il est question d'autonomie du patient : qu'est-ce que l'autonomie dans le cadre de la maladie chronique ? Comment un dispositif d'ETP vient favoriser des attitudes autonomes ? Ces attitudes sont-elles en accord ou en désaccord avec une autonomie préalablement façonnée par les patients et leurs proches, hors du cadre médical ? Plus globalement, peut-on parler d'autonomie lorsque l'éducation vise à promouvoir des comportements sains, répondant à un standard médical ?

4. La sociologie va s'intéresser également aux expériences des patients et des professionnels prenant part à des séances d'ETP : concrètement, comment cela se passe-t-il ? Quelles sont les perceptions de chacun des acteurs sur leur place, leur rôle dans ce dispositif ? Quelles sont les motivations de participation à de tels dispositifs ? Quels sont les éléments extérieurs (famille, culture, histoires de vie...) impactant sur le déroulement de séances d'ETP ? Pour les professionnels, quel est le sens donné au développement de l'ETP, par rapport à leurs pratiques, leurs domaines d'activités, leurs perspectives professionnelles ?

Ces regards posés par la sociologie sur l'ETP permettent de voir autrement le dispositif ; plus généralement, ces regards peuvent être appliqués à l'ensemble des pratiques, attitudes, organisations, interventions, etc. relevant du médical et de la santé publique. L'ambition reste toujours de dévoiler la part du social composant ces actions et situations de maladie et/ou de santé.

La perspective sociologique se construit autour d'une démarche sociologique constituée de trois grands moments [1] : la description, la compréhension et l'explication.

  • La première étape, la description, consiste en l'observation et la définition d'un phénomène au travers de l'action d'un ou de plusieurs acteurs (ou groupes) et/ou du contexte de l'action. Cette étape s'accompagne souvent d'un travail de catégorisation. On assiste ici à une phase de déconstruction de l'objet.

  • La seconde étape est de proposer une approche compréhensive de l'objet ou du phénomène décrit. Il s'agit d'un effort d'analyse cherchant à saisir les intentions ou motivations de l'acteur, du groupe... Les faits observés et décrits sont interprétés dans un cadre conceptuel et une méthodologie spécifique. On est ici dans une phase de reconstruction de l'objet ou de la réalité étudiée : les significations de l'action sont saisies.

  • La troisième étape est celle de l'explication qui renvoie à l'observation initiale du fait étudié. Il s'agit ici de lier les sens de l'action dégagés dans la phase de compréhension à un cadre théorique général ; autrement dit, cette étape rend compte de l'exigence à l'origine même de la discipline, celle d'expliquer le social.

Il est important de noter qu'il n'est pas question ici d'explication absolue : d'autres regards sur le fait étudié sont possibles. D'une part, l'explication sociologique n'exclut pas d'autres types d'explications (issues de la psychologie, de l'économie, de la biologie...) ; d'autre part, au sein même de la discipline sociologique, plusieurs regards sont possibles.

En effet, si la description est un aspect important du travail sociologique, la construction d'un regard analytique sur le phénomène étudié, en lien avec un cadre théorique défini préalablement, est essentielle à l'étude sociologique. Afin de mener à bien cette démarche, caractéristique de la discipline sociologique, il est important de comprendre les principaux regards sociologiques, appelés paradigmes.

Complément

  1. 1

    De Coster, M., Bawin-Legros, B. et Poncelet, M. 6e édition.Introduction à la sociologie. Bruxelles: Editions Deboeck Université.2006.

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