L'expérience de la maladie et de la santé
Enfin, le regard sociologique se porte sur l'expérience de la maladie et de la santé. Il se distingue d'un regard psychologique : même si c'est de l'individu dont il est question, ce sont les mécanismes sociaux d'une expérience particulière, subjective, qui sont recherchés. Par ailleurs, le lien est fait avec la structure sociale : l'expérience individuelle n'est pas indépendante d'une structuration du social.
Plusieurs aspects sont étudiés. L'expérience de la maladie est d'abord considérée, surtout dans le cadre de la maladie chronique. Les sociologues ont montré comment la survenue d'une maladie chronique vient marquer une rupture biographique [1] [2]. Le malade fait l'expérience de sa maladie au quotidien, quotidien qu'il doit ajuster à son état. La notion de trajectoire est souvent mobilisée pour expliquer le parcours du malade : c'est en lien avec un environnement social (incluant la famille, le réseau social, les relations de travail... et en résonance avec les normes sociales) ainsi qu'un environnement médical (soignants, traitements, institutions...) que se construit socialement le malade. Dans le cas du cancer, Ménoret [3] mobilise cette notion afin de décrire le parcours du malade, aussi social et non seulement médical.
De l'expérience de la maladie à l'expérience de la santé, il n'y a qu'un pas. Herzlich [4] , dans une approache psycho-sociale, étudie dès les années 60 ce que signifie la santé pour des gens non malades. Ce regard sociologique trouve actuellement un écho particulier auprès des individus sains qui, d'un point de vue de la santé publique, doivent conserver leur santé. L'expérience de la santé est alors celle de l'expérience d'un quotidien « en santé » (everyday health). Ce questionnement poursuit une interrogation plus ancienne portant sur la médicalisation de la société : conjointement au progrès médical et au développement de la protection sociale, l'ensemble des sphères sociales (travail, famille, loisirs...) sont investies par le médical : comment l'individu vit-il cette médicalisation ? La sociologie déplace ainsi son regard du malade à l'individu sain.
Parallèlement, au travers de la question de l'expérience, le regard sociologique fait resurgir la question du « savoir » : un savoir d'expérience – savoir expérientiel – est observé, s'accompagnant d'un pouvoir, en opposition au pouvoir médical. Le regard sociologique montre cependant toute l'ambiguïté de ce savoir-pouvoir pour le patient : en prévenant et en éduquant, assiste-t-on à l'expression d'un contrepouvoir au pouvoir médical ou, au contraire, à un savoir-pouvoir dépendant, voire conditionné, par le pouvoir médical ?