La relation médecin-patient (ou soignant-soigné, professionnel-profane, expert-public)
La sociologie de la maladie et de la santé étudie les relations entre les médecins et les patients, dans ses variations multiples : le médecin face au patient, le professionnel face au profane, l'expert face au public, l'acteur de santé publique face à sa population cible... et dans des cadres divers : la consultation généraliste ou spécialisée, dans le cadre hospitalier ou en institution, dans un contexte médiatisé... L'ambition est de dévoiler les aspects sociaux qui fondent la relation quelle qu'elle soit. Le postulat est que la rencontre ne relève pas que de mécanismes interpersonnels et psychologiques, mais que des mécanismes sociaux sont présents.
Un aspect largement étudié est celui de l'appartenance au groupe social : le malade appartient au groupe social « malades » tout comme le médecin appartient à un groupe social que constitue la profession médicale. Leurs appartenances respectives vont s'activer lors de la rencontre, d'une part afin d'organiser la rencontre (lieu socialement construit) mais également d'influencer sur la rencontre : médecin et patient vont exprimer des différences de compétences, de prestige, de pouvoir... Les interactionnistes et principalement Anselm Strauss (voir 1. Qu'est-ce que la sociologie ?) ont contribué à comprendre ce qui se noue dans la relation qui se veut stratégique, notamment via le langage permettant des relations négociées.
Au-delà de l'appartenance, c'est la question de la culture qui est en jeu dans la relation médecin-patient. Les représentations sociales sont alors étudiées en ce sens qu'elles permettent de mettre à jour le sens des pratiques des acteurs (accepter ou contester une décision médicale, consulter ou non son médecin, prescrire ou non un traitement...) en lien avec des modes de pensées propres aux acteurs et modulées socialement (par la famille, le réseau social, la culture professionnelle, etc.). Le regard sociologique élargit l'explication d'une relation interpersonnelle à un environnement social complexe et plus ou moins déterminant (Thoer et Renaud [1]).
Les modèles de relations médecin-patient
Talcott Parsons [2] est celui qui a proposé le premier un modèle de relation médecin-patient, répondant à son ambition de sociologie structuraliste (voir 1. Qu'est-ce que la sociologie ?) : c'est la structure sociale qui oriente la rencontre entre le médecin et le malade. Selon Parsons, la relation médecin-malade est
asymétrique : le médecin résout le problème du malade, le médecin est actif et le malade est passif ;
consensuel : le malade reconnaît le pouvoir du médecin, la relation thérapeutique est fondée sur la réciprocité.
Médecin et patient vont se trouver face à des attentes clairement définies, les rôles. Déroger à ces devoirs et obligations entraînent nécessairement des sanctions sociales, aussi minimes soient-elles.

Face à ce modèle, Freidson [3] propose un modèle conflictuel de relation médecin-patient, mettant au jour la légitimité du « patient » (et pas du seul malade) et de son « savoir » (voir Pour en savoir plus « La santé comme fait social »).
Dans les années 70 et 80, les sociologues ont proposé d'autres modèles de relations, plus complets, mettant en avant à la fois le rôle actif du patient et la variété des relations, la profession du soignant, l'histoire du patient, les ressources langagières et expérientielles, les lieux de rencontre... étant autant d'éléments orientant les relations entre les acteurs.
Actuellement, ce qui est en jeu, que ce soit dans les pays développés ou en développement, c'est la pluralité des modèles – l'intervention en santé publique pouvant être comprise comme un modèle particulier. La pluralité des modèles de relations entre médecins et patients s'explique à la fois par les évolutions dans l'organisation des systèmes de santé et de soins ainsi que par des facteurs sociétaux tels l'individualisation croissante ou le développement des technologies de l'information. C'est notamment la figure du patient qui a changé et qui est devenu un objet sociologique à part entière.
Le patient, un acteur complexe
Dans la relation médecin-patient, le regard sociologique a évolué pour se porter sur les acteurs, notamment le patient dont le rôle passif attribué par Parsons a été mis à mal pour reconnaître aujourd'hui son « activité », voire sa complexité.
C'est dans le contexte des maladies chroniques tout d'abord que le patient révèle son activité. A partir du vécu de la maladie chronique, les sociologues ont montré comment les malades chroniques devenaient acteurs de leurs maladies pour se constituer en patient actif, en capacité de discuter, voire de négocier, avec les soignants. Au-delà de la maladie chronique, les sociologues ont alors montré comment le patient peut être actif parce qu'il est capable de mobiliser les ressources de soutien social mais surtout d'information, quittant ainsi une position attentiste. Les ressources informationnelles sont actuellement montrées comme un élément important dans la constitution du rôle de patient : Fainzang [4] montre, dans une étude auprès de patients atteints de cancer, comment l'information est l'enjeu de la relation et la façonne de manière déterminante. Depuis les années 2000, il est également montré comment les technologies de l'information dont internet ont un impact sur les compétences du patient, mieux à même d'orienter la relation avec son médecine ou soignant [5] [6] .
Si l'activité du patient est reconnue, les regards sociologiques peuvent par contre s'opposer : le patient choisit-il d'être actif ou se voit-il imposer son activité ? La norme est en effet devenue celle du patient informé, biaisant alors le choix du patient d'être – ou non – informé. Cette question est fondamentale en santé publique dès lors que la prévention se fonde sur le postulat d'un individu informé pour se maintenir en bonne santé. Les études sociologiques ont en effet montré l'importance d'une démarche individuelle et réflexive dans l'accès à l'information, différente d'un impératif sanitaire. Des pratiques de résistance peuvent ainsi être observées face à des messages d'information au sujet de la santé [7] . Le regard sociologique dévoile ici un autre aspect de l'autonomie des individus, en décalage avec une norme médicale, et faisant du patient – dans le cas de la santé publique, des individus sains – une figure sociale complexe.