Concepts et savoirs de base en santé publique - Disciplines concourantes

Anthropologie médicale appliquée à la santé publique dans les sociétés non-occidentales (pays en voie de développement). Le cas de l'infection VIH en Afrique

L'infection à VIH a généré de nombreuses études en anthropologie sur les perceptions et représentations de la maladie (en particulier la contamination), les normes et comportements sexuels des individus ou de certains groupes (prostitué/es, homosexuels), les recours thérapeutiques (recours à des guérisseurs ou des thérapies parallèles), et, en second lieu, sur l'observance des anti-rétroviraux (pratiques de soin et relation thérapeutique) ou sur l'attitude des professionnels de santé, incluant l'éthique du soin et de la recherche (De Sardan, 2006 :1039).

La réalisation des travaux en sciences sociales sur le VIH, notamment en Afrique où les taux de prévalence sont importants, illustre une contribution réussie de l'anthropologie médicale dans le champ de la santé publique permettant, en particulier, de mieux comprendre les phénomènes socioculturels associés à la pandémie de l'infection à VIH.

Au-delà de confronter la réalité biologique, épidémiologique à la clinique, les anthropologues médicaux étudient "les courants culturels, porteurs de conduites, qui accélèrent ou qui freinent les possibilités d'infection" (Benoist, 1996). Le défi de l'infection à VIH exige en effet "une ouverture théorique où le pragmatisme et la diversité l'emportent" (Ibid), mais aussi une approche pluridisciplinaire impliquant anthropologues, sociologues et sexologues. Ces spécialistes ont étudié en profondeur les circonstances dans lesquelles la pandémie se diffusait dans certains groupes sociaux, les réponses des populations, leurs réactions et leurs représentations à l'égard des personnes atteintes et les styles de vie spécifiques (utilisateurs de seringues), les prostitué(e)s ou les homosexuels. Les connaissances nouvelles fournies par ces travaux approfondis sont particulièrement utiles pour les pouvoirs publics, les responsables de programmes de prévention, les éducateurs sanitaires, les professionnels de la santé et la population.

Les anthropologues qui ont travaillé dans les pays non-occidentaux ont développé une approche nourrie de la tradition ethnographique de la recherche sur les représentations sociales qui a été rapidement et malheureusement dominée par les méthodes issues de la psychologie sociale, contribuant ainsi au développement de travaux anthropologiques limités aux protocoles CAP (Connaissances, Attitudes et Pratiques) (Bibeau, 1996).

Les transformations des cultures de la sexualité dans les milieux urbains africains constituent un domaine de recherche anthropologique à développer. Le chercheur doit toutefois veiller à "dédier plus de temps à l'étude des cultures urbaines de la sexualité sans postuler d'emblée l'existence d'un laxisme sexuel qui serait structurellement inscrit au cœur de l'organisation africaine de la sexualité, laxisme qui s'exprimerait particulièrement lorsque le contexte de vie villageois ne lui impose plus de barrage systématique" (Ibid).

Les travaux réalisés par certains chercheurs en anthropologie et médecins de santé publique au Burkina Faso (pays d'Afrique de l'Ouest particulièrement touché par la pandémie) ont exploré l'importance de la discrimination, en identifiant ses modalités d'expression et les logiques institutionnelles et sociales qui l'entretiennent. Ainsi, A. Desclaux (1996) a abordé "la condamnation morale des personnes atteintes, qui sont suspectées d'avoir eu de multiples partenaires sexuels, ou des relations avec des groupes considérés comme ayant introduit la pandémie (les prostituées, notamment Ghanéennes, ou les Blancs). Elle provoque la médisance et se prolonge dans l'accusation des séropositifs de vouloir délibérément transmettre la maladie. Elle introduit le soupçon envers les personnes séropositives dans le couple et la famille, en particulier vis-à-vis des femmes, avec des cas de rejet du foyer. Le retrait et l'évitement vis-à-vis des personnes atteintes se manifestent aussi par l'exclusion, notamment dans le monde du travail. La stigmatisation touche les personnes atteintes de cachexie, de dermatoses, de diarrhées. Dans les structures sanitaires, les malades sont traités de manière différenciée sur le plan des soins ou vis-à-vis des règles d'éthique" (Desclaux, 1996, 268-269).

ComplémentPour aller plus loin...

Bibeau, G. (1996). La spécificité de la recherche anthropologique sur le sida. In Benoist J. & Desclaux A. (Eds), Anthropologie et sida: Bilan et perspectives, Paris : Éditions Karthala, pp. 13-30

Bibeau, G. (1991). L'Afrique, terre imaginaire du sida. Anthropologie et Société, 15, 2-3 pp. 125-147

Bibeau, G. et Murbach R. (1991). Déconstruire l'univers du sida, Anthropologie et Société, 15, 2-3 pp. 5-11

Desclaux A. (1996). La recherche anthropologique peut-elle contribuer à la lutte contre la discrimination envers les personnes atteintes par le VIH ? In Benoist J. & Desclaux A. (Eds), Anthropologie et sida: Bilan et perspectives, Paris : Éditions Karthala, pp. 267-286

Grmek, M. D. (1989). Histoire du Sida. Début et origine d'une pandémie actuelle, Paris : Payot.

Benoist J. & Desclaux A. (Eds), Anthropologie et sida: Bilan et perspectives, Paris : Éditions Karthala.

De Sardan .P.O. (2006). Anthropologie de la santé, In Le dictionnaire des sciences humaines. Mesure S. & Savidan P. (eds), Paris : PUF, pp. 1039-1041.

Preston-Whyte E.M. (2005). Traverser les frontières : l'anthropologie médicale en Afrique du Sud et le VIH-sida In Saillant F. & Genest S. (Eds). Anthropologie médicale : Ancrages locaux, défis globaux, Québec : Les Presses de l'Université de Laval, 401-437.

Vernazza-Licht N. (1996). Face au sida, les recours parallèles... In Benoist J (dir) Soigner au pluriel : Essais sur le pluralism medical, Paris : Éditions Karthala, 331-359

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