Définition, concepts-clés de l'anthropologie contemporaine et approche méthodologique
Lévi-Strauss, anthropologue français, définit l'anthropologie comme " a connaissance globale de l'homme, dans toute son extension historique et géographique ; aspirant à une connaissance applicable à l'ensemble du développement humain depuis les hominidés jusqu'aux races modernes ; et tendant à des conclusions, positives ou négatives, mais valables pour toutes les sociétés humaines, depuis la grande ville moderne jusqu'à la plus petite tribu mélanésienne" (Lévi-Strauss 1958 :388).
Ainsi, pour l'anthropologue, père du structuralisme, l'anthropologie entend se consacrer à l'étude des phénomènes humains actuels, mais aussi passés, à l'étude des sociétés industrialisées comme à celle des sociétés techniquement sous-développées. Sa vocation est universelle.
En Amérique du Nord, les anthropologues (ex. G. Bibeau, R. Massé) considèrent l'anthropologie comme une méta-discipline, c'est-à-dire une discipline englobante et hybride qui étudie, en les comparant dans l'espace du monde et dans la longue durée, les sociétés humaines, passées et contemporaines, afin de mettre en évidence à la fois ce que les groupes partagent en commun et ce qui est propre à chacun.
Cette méta-discipline permet d'étudier la dynamique des relations entre des populations et leur environnement en prenant en compte à la fois les aspects biologiques et socio-culturels des groupes humains et les caractéristiques physiques des écologies locales.
L'"anthropos" est d'emblée appréhendé par l'anthropologue comme un être biologique, faisant partie de l'"économie animale", dirait Hippocrate, et comme un être de culture qui fabrique ou invente, en concertation avec les autres, des réponses plus ou moins prévisibles, arbitraires parfois, qui permettent à son groupe (une petite bande ou une grande société) de survivre, avec plus ou moins de succès, dans les environnements les plus extrêmes : c'est le cas, par exemple, des Inuit dans l'Arctique canadien et des !Kung dans le Kalahari africain.
Concept d'adaptation, de culture et d'environnement
Le concept d'adaptation est défini comme le processus dynamique par lequel une population crée, au fil des générations, des relations bénéfiques avec l'environnement par le biais de changements génétiques, physiologiques et comportementaux ou culturels.
Au-delà du concept d'adaptation, dans la dynamique écologico-culturelle dont s'occupe l'anthropologie, les anthropologues ont aussi recours au concept de culture et à celui d'environnement dont la définition varie selon le courant théorique.
Concept de culture
La culture est le résultat de l'adaptation d'une population à un milieu écologique donné (théories de l'évolution, courant évolutionniste).
Tout en admettant que certaines parties de la culture (la technologie par exemple) dépendent largement de l'environnement, les anthropologues reconnaissent aujourd'hui que la culture s'impose comme le mécanisme central qui commande la direction suivie par un groupe dans le processus d'adaptation au milieu écologique dans lequel il vit. La culture n'est donc plus définie, comme chez les partisans de l'évolutionnisme, du seul point de vue du résultat de l'adaptation ; les écologistes culturels préfèrent en effet plutôt la définir comme un ensemble complexe de pratiques, comportements, représentations et manières de penser qui forment un système plus ou moins bien intégré.
Concept d'environnement
Pour comprendre l'organisation interne d'une culture particulière l'anthropologue se réfère d'une part à la règle des contraintes environnementales qui imposent aux groupes certains traits culturels et, d'autre part, à l'arbitraire des choix et à l'invention des groupes humains qui ne se déploient pas partout avec la même créativité. Les pressions environnementales sont interprétées ici soit comme des contraintes qui limitent les possibilités d'invention culturelle, soit comme des défis qui stimulent la créativité des sociétés humaines. Les spécialistes de l'écologie culturelle affirment qu'on ne peut étudier une société qu'en la situant sur l'horizon des relations parallèles, et souvent contradictoires, qu'elle entretient avec son environnement, relations qui sont médiatisées par la culture du groupe.
Approche méthodologique
L'environnement concerne plus largement l'univers cosmologique, du point de vue des populations qui l'habitent, en les décrivant dans les termes qui leur sont propres et en restituant le sens que les personnes attachent par exemple à tel ou tel aspect de la nature. Chacune des civilisations humaines possède une cosmologie qui lui est propre et l'ethnographe, ou l'anthropologue, se doit de mettre en évidence les variations dans la construction du monde. Pour y arriver, il doit recueillir des récits, les grands mythes de création surtout, les exégèses qu'on en fait et entrer, autant qu'il ou qu'elle peut, dans l'imaginaire collectif qui nourrit les différentes cultures.
Sous-disciplines de l'anthropologie et caractéristiques
Les quatre sous-disciplines : l'anthropologie biologique ou physique ; l'archéologie préhistorique; l'anthropologie sociale et culturelle (dans laquelle figure l'anthropologie médicale, de la maladie ou de la santé) ; et l'anthropologie linguistique, de l'anthropologie nord-américaine dès l'institutionnalisation de la discipline faite par Franz Boas (1858-1942) à l'Université Columbia, manifeste les vastes perspectives de cette méta-discipline qu'est l'anthropologie.

Les quatre sous-disciplines (ou champs d'étude) de l'anthropologie partagent trois caractéristiques de base qui concourent à maintenir une certaine unité au sein de cette méta-discipline.
D'abord, leurs approches sont comparatives, les comparaisons se faisant entre des espèces (primates non-humains et primates humains), entre des époques ou entre des cultures contemporaines séparées dans l'espace.
De plus, dans les quatre sous-disciplines, les anthropologues insistent sur le concept de culture (cf. page précédente) qui est tantôt défini par les anthropologues biologiques surtout, comme le résultat et le processus de l'adaptation d'une population à son environnement ou tantôt comme un système de sens, ou autrement encore, entre les pôles biologique et symbolique.
Enfin, les anthropologues attachent tous de l'importance, et quel que soit le sujet de leur recherche, à la notion de "terrain" ou de site ethnographique, car c'est en effet dans un espace bien délimité, "micro", dans la vie et non dans des conditions de laboratoire, et de manière plus intensive qu'extensive, que les anthropologues mènent leurs recherches. L'anthropologue est forcé de se situer à la fois au-dedans et au-dehors des sociétés qu'il étudie, dans le partage du monde de l'autre et dans la distance d'avec ce monde aussi, en se tenant en quelque sorte sur cette impossible frontière où se superposent, au moins minimalement, les lieux à partir desquels l'anthropologue prétend parler.
La spécificité de la méthode anthropologique surgit de cette triangulation.
Remarque :
L'anthropologie a ainsi été conduite à emprunter des théories, des concepts et des méthodes à de nombreuses disciplines : à la biologie, à la sociologie, à l'histoire, aux sciences de l'environnement, à la linguistique, à la sémiologie et plus largement aux humanités, emprunts qu'elle a intégrés dans des proportions variables et selon des scénario diversifiés.
Les partisans des approches bioculturelles tendent par exemple à combiner, dans des modèles inspirés des théories de l'évolution, les concepts d'adaptation, de variations biologiques et de pression environnementale qui sont communs à l'écologie, à la biologie et à l'archéologie.
Les anthropologues culturalistes s'inspirent principalement des acquis de la linguistique, de la sémiologie et des humanités dans leurs études des systèmes de pensée, des ensembles symboliques et des univers culturels.
Il n'est donc pas étonnant que la dialectique de la biologie et de la culture en soit venue, à travers le terme de "bioculture", à s'inscrire au cœur même de la pratique anthropologique et à constituer en quelque sorte la carte de visite qui permet de reconnaître l'anthropologie en tant que champ original de connaissances et de pratiques.